La géométrie aussi peut danser

 


Affiche. Exposition Maison de la Culture de Chalon-sur-Saône - Juin 1979

Premiers pas
Paul Rouillier est né à Paris en 1914. Il a fréquenté l'école des Arts Décoratifs... En 1943 il se retrouve dans l'atelier d'André Lhote. Il participe à de nombreuses expositions et notamment aux premières années du Salon des Réalités Nouvelles (1947, 1948) ou se retrouvent les « abstraits » de l'après guerre. On sent dans les œuvres de cette époque, le voisinage fréquent d'Atlan, de Villon, de Torres Garcia... C'est encore la fin des années trente, l'atmosphère est aux synthèses électriques. La peinture n'a guère résisté aux secousses politiques, l'abstraction piétine dans des limites infranchies, piégée dans le « motif » et le style ; les images sont composées, centrées. Tout le vocabulaire énoncé par Kandinsky en 1926 dans « point, ligne, plan » fonctionne là, incontourné.
Suivent vingt deux années d'interruption ou Paul Rouillier continue cependant à s'intéresser aux arts appliqués (céramique, décoration, publicité, meubles...).

Déplacements
En 1970, reprise de la peinture. Il faut se situer :

1 La scène artistique internationale fournit à Paul Rouillier de nouveaux points de repères : dans les années 50 aux U.S.A.., Liberman; Barnett Newman, Elsworth Kelly, Ad Reinhardt... ont déplacé l'abstraction, l'on fait sortir des problèmes du sujet abstrait, du motif, du style, ont abandonné son vocabulaire et sa grammaire. La fuite du bavardage, une épuration voire une recherche du silence ont conduit certains artistes à ne plus présenter que des structures géométriques simples, vidées de tout contenu symbolique (ce n'était pas le cas dans l'abstraction géométrique d'avant guerre ; par exemple Michel Seuphor en fondant le groupe et la revue Cercle et Carré en 1926 déclarait avoir choisi ces deux formes parce qu'elles renvoyaient à des symboles universels, soleil/terre). Il convenait pour eux d'en dire le minimum. Le peu, le rien, le vide aussi pouvaient être des valeurs positives.

2 Deuxième situation : les événements de 1968 viennent d'avoir lieu. Paul Rouillier les a ressentis comme la manifestation d'un puissant « besoin d'essentiel et de vérité ». Le problème de l'engagement du peintre est à nouveau historiquement posé, et de façon aigüe. Depuis 1960 environ la vague néo dadaîste, le « non art » a déferlé sur l'Europe (happening, events, interventions, performances...). Que peut un peintre ? Que doit-il faire ? Faut-il encore peindre ? Faut-il sortir de la peinture sous peine d'être démodé ?... Le choix de la voie « constructiviste» qui vient de Malevitch et Mondrian en passant par Albers ne se démentira pas. Recherche du minimum éclairée désormais par les travaux des Américains cités plus haut.

Danses contemporaines
En 10 ans il y a eu un parcours personnel ou l'on peut pratiquer un découpage

1 Valse hésitation. La géométrie hésite à s'installer entre trois ou quatre territoires :

  1. Des motifs mexicains inspirent des compositions aux couleurs primaires et aux formes non dénuées d'expressionnisme.
  2. La ville et l'usine sont transposées en formes simples dans une suite de toiles sur les concentrations urbaines.
  3. Des traits noirs interrompus sur fonds blancs s'ordonnent de manière à renvoyer allusivement à quelque paysage.


iN° 86, 1973, N°  inv.  0086
Acrylique sur toile, L. 230 cm. ; H. 175 cm.

 

 

2 Scénographies baroques. Paul Rouillier opte pour le noir et le blanc. Il utilise des aplats noirs aux découpes en biseaux et décale ses formes. Les lignes courbes et asymptotiques. Tout semble se poursuivre en dehors du tableau qui se dénonce comme découpage arbitraire, cadre. C'est à cette période qu'appartient la grande composition numéro 86.

3 La géométrie danse. Ce sont les œuvres les plus récentes, celles des quatre ou cinq dernières années, celles que nous présentons à la Maison de la Culture de Chalon-sur-Saône. Paul Rouillier y systématisé ses choix. Il utilise une géométrie simplifiée et un code de proportions arrêté défini par les rapports de dimensions du tableau ou par les rapports simples 1/2, 1/3 et 1/4. Comment danser après s'être donné de telles contraintes ? C'est un pari. Je pense aux gestes mécaniques des danseurs de Merce Cunningham. Çça ne s'englue pas. Quand un geste renvoie à un stéréotype c'est par une suprême liberté. Beaucoup d'audace et d'humour dans tout cela. Regardez les « maisons » ou bien les aplats noirs déterminés par des trames, regardez les tableaux aux traits noirs d'épaisseurs différentes. Pouviez-vous imaginer de telles formes simples et pourtant non vues. Aucune pesanteur, aucune trace d'une élaboration laborieuse. C'est le pari poursuivi par séries. On en trouvera ici l'énumération laconique avec les numéros des œuvres présentées.

Christian Besson.
À l’occasion de l’exposition La géometrie aussi peut danser
Maison de la Culture de Chalon-sur-Saône
31 mai - 29 juin 1979.